C’est au début juillet 1901 qu’est votée la loi française sur les associations : elle stipule, en ce qui concerne les communautés religieuses, que les congrégations non autorisées par le gouvernement doivent ou solliciter l’autorisation ou quitter la France. Que faire en pareille occurrence ? Les Pères de la Salette, après bien des hésitations, sûrs d’ailleurs que l’autorisation leur serait refusée, se décident, aux derniers jours d’août, à prendre le chemin de l’exil.
Un voyage de reconnaissance entrepris au mois de mai par Père Pajot, conseiller général, avait un peu frayé la route. Un ancien pèlerin de la Salette, l’abbé Friand, français d’origine, volontaire exilé pour éviter de devenir allemand suite à l’ annexion de l’Alsace-Lorraine (guerre 1870-71), curé fondateur de la paroisse du Sacré-Cœur à Tournai, avait reçu le missionnaire avec une extrême bonté offrant d’accueillir la communauté sur la paroisse et lui indiquant près de la gare un terrain propice à la construction d’un couvent. Mais les négociations avec l’Administration des Hospices civils de Tournai qui le possédait en étaient restées au stade des pourparlers.
Le mois de septembre 1901 à la Salette s’ouvrait tristement, dans la perspective des séparations prochaines. On voulait à tout prix sauver l’école apostolique (autrement dit, le petit séminaire de la Congrégation) pépinière de vocations. Mais ce projet d’établissement en Belgique, au point où il en était, de quel secours pouvait-il être ?
Le 8 septembre, les Supérieurs Majeurs délibéraient avec l’impression de se trouver devant la quadrature du cercle, lorsque le Père Pajot rencontre inopinément dans un corridor, l’abbé Friand revenu conduire un pèlerinage belge. Il l’introduit dans la salle du conseil. Le réflexe du généreux curé est immédiat. ” Venez à Tournai, répond-il aux Pères – j’ai une grande salle de patronage sans compter ma cure. Je mets le tout à votre disposition; vous resterez chez moi jusqu’à ce que vous ayez eu le temps d’acheter et de bâtir”. C’est ainsi que tout commence. La recherche d’un refuge va conduire les Pères de la Salette à Tournai.
Dès le 21 septembre 1901, le Père Louis Comte, supérieur désigné de la nouvelle résidence, s’achemine vers la Belgique avec trois enfants. Un wagon de mobilier le plus indispensable précède. L’abbé Friand attendait les voyageurs à la gare pour les conduire à son presbytère. Le 26 et le 27, deux autres groupes suivent. Enfin le 30, toute la petite famille se trouve réunie pour le repas du soir à la table hospitalière de l’abbé Friand. Dès leur arrivée à Tournai, les Pères et leurs élèves installèrent leur campement provisoire dans la salle des œuvres de la paroisse du Sacré-Cœur mise à la disposition des Pères, à la condition que l’après-midi du dimanche, ils réservent un coin pour ceux des paroissiens qui viennent y faire la partie de cartes.
Cette grande pièce fut utilisée au maximum puisqu’elle servit de salle d’étude, de réfectoire et de dortoir. Mais la cure aussi était utilisée…
Cette situation précaire durera vingt mois environ de 1901 à 1903 sans que se démentent ni la bonne humeur de la communauté, ni la parfaite entente avec le grand ami qui l’héberge. “Jamais nous ne montrerons assez de reconnaissance à Monsieur le Curé du Sacré-Cœur, car il n’y a que lui pour avoir pu souffrir sans jamais témoigner le moindre signe de lassitude ou de mauvaise humeur un semblable envahissement de son presbytère”. C’est ainsi que s’exprime le chroniqueur dans le journal de la Résidence en 1903.
Cette situation précaire ne pouvait se prolonger. Il fallait trouver une solution durable. C’est ainsi que reprennent les négociations afin d’obtenir le terrain convoité au chemin du Crampon. Cette vaste espace était situé presque en plein champs en dehors des remparts de la ville récemment démolis. Rares y étaient les habitations. Finalement, un accord fut trouvé avec les Hospices Civils. On pouvait se mettre à l’ouvrage sous l’impulsion de l’infatigable Père Louis Comte. Il suivait activement la construction de l’école actuelle. Aiguillonnant entrepreneurs et ouvriers, il était presque constamment sur le chantier. Impitoyablement, il brisait et rejetait les briques mal cuites car il voulait une maison solide. Il faut reconnaître qu’il a réussi.
C’est le 29 avril 1903, soit 19 mois après le début de l’exil, que la communauté prend possession de son couvent. C’est la fin d’une situation que l’on savait provisoire et à travers le compte rendu du chroniqueur, on découvre la joie bien naturelle de qui se trouve enfin chez soi : ” Oui, c’est dans la joie que la communauté et les élèves s’installent dans cette maison du “Chemin du Crampon” qui s’appellera désormais “la Salette de Tournai”.
Après le couvent, il fallait construire la chapelle. A peine installés chez eux, les Pères de la Salette s’attelèrent immédiatement à cette tâche qui s’imposait à des religieux.
Le 10 juin 1903 eut lieu la bénédiction et la pose de la première pierre de la chapelle Notre-Dame de la Salette. Pour la circonstance, Monsieur le chanoine Léopold Lebrun, doyen et curé de Saint-Brice, avait été délégué par Monseigneur Walravens, évêque de Tournai.
La construction avance assez rapidement car le 14 septembre 1904, Monseigneur Walravens procède à la Bénédiction solennelle de la Chapelle.
D’une architecture discrète, faite de briques surtout, elle présente la disposition classique d’une croix latine d’une longueur de 35.50m avec une nef de 9.50 de large pour une hauteur sous voûtes de 12.50m et un transept de 17.70 sur 6.60m.
A l’époque, cette grande chapelle, éclatante de blancheur avec ses murs revêtus de plâtre et ses verrières garnies de simples vitres transparentes. Au fil du temps la décoration intérieure sera réalisée. Plusieurs fresques illustrant les moments importants de la création de l’ordre orneront les murs. Ce sont de véritables tableaux représentant entre autres :
– la proclamation de l’authenticité de l’Apparition par Mgr Philibert de Bruillard, évêque de Grenoble le 19 septembre 1851.
– le couronnement de la Statue de Notre-Dame de la Salette par le Cardinal Guilbert, archevêque de Paris le 20 août 1879.
– l’approbation de l’Institut des Missionnaires de la Salette par S.S. Pie X.
Les vitres transparentes des baies seront remplacées par des vitraux offerts par de généreux donateurs comme ceux du chœur représentant la médiation de Notre-Dame de la Salette, offerts par les dames belges et françaises de Tournai. Quant au mobilier intérieur, il se compose de stalles et de bancs propices aux prières communautaires des pères et des séminaristes. Une partie de cette vaste chapelle est toutefois réservée au public qui ne manquera pas de se presser aux offices.
Parallèlement à la construction de la chapelle, on érige dans le jardin à l’entrée de la résidence un fac – similé, en demi- grandeur, des lieux
de l’apparition de Notre-Dame de la Salette. Cette reproduction inaugurée le même jour que la chapelle existe toujours et a été restaurée il y a quelques années.
Une fois installée dans leur nouveau couvent, commence pour la communauté une période de plénitude qui durera jusqu’en 1939 avec toutefois un ralentissement inévitable de la vie et des activités durant les années de guerre 14-18. La vie quotidienne de la communauté et des élèves en majorité français mais aussi polonais, américains,… est une vie de prière où la liturgie tient une grande place, comme dans tous les séminaires. C’est aussi une vie de travail, d’étude, d’enseignement mais également de travail manuel. C’est une période où 100 à 120 pères et élèves vivent ensemble au couvent de la rue du Crampon.
Chaque année, on comptait plusieurs ordinations qui été célébrées à la chapelle de la Salette. La relève était assurée et beaucoup partaient en mission, particulièrement à Madagascar.
Vers 1920, le scolasticat (grand sénminaire) vint s’établir lui aussi à Tournai. Les élèves de philosophie et ceux de théologie suivent les cours à la faculté dominicaine, établie à cette époque au Saulchoir, à Kain. Cela dura jusqu’au départ des Pères Dominicains, juste à la veille de la seconde guerre mondiale.
Alors qu’au couvent, la vie est débordante, les environnements se métamorphosent à l’extérieur. Les habitants de Tournai s’installent de plus en plus dans cette partie de la ville extra-muros. Le quartier se construit et s’étend tout autour. De nombreuses habitations sociales sont érigées. De nouvelles artères y facilitent le développement. Le chemin du Crampon devient la rue du Crampon. Quelques usines, dont une tannerie et une chomerie assurent le travail aux habitants.
Canoniquement, ce nouveau quartier dépend en grande partie des paroisses de Saint-Nicolas et du Sacré-Cœur, mais très logiquement, les fidèles viennent aux offices à la chapelle de la Salette, motivés par la vie religieuse intense qui y règne et la proximité du lieu de prière.
Tout comme durant la période de la guerre 14-18, les évènements de 1939 aboutissent à une nouvelle mise en veilleuse de la maison des Pères Salettins de Tournai. Les petits séminaristes sont regroupés en France alors que les scolastiques (grands séminaristes) sont pour la plupart mobilisés. De ce fait la communauté de Tournai est réduite à quatre – cinq membres qui assurent le service de la chapelle et maintiennent la présence des Pères.
Les bombardements de la guerre n’ont pas épargné le couvent tout comme une grande partie du quartier en raison de la proximité de la gare. Une bombe a traversé l’aile arrière du bâtiment tandis que plusieurs vitraux de la chapelle étaient sinistrés.
Après la guerre, en 1946, il y a une remise en activité par le retour des grands séminaristes dont un certain nombre d’anciens prisonniers de guerre. Par contre, l’école apostolique (petits séminaristes) ne reviendra pas en Belgique.
La vie de prière, la vie liturgique et la vie d’étude reprennent. Les futurs prêtres vont chercher au grand séminaire de Tournai, à la rue des Jésuites, le complément théologique indispensable à leur formation.
Durant cette période, qui durera dix ans, on compte une quarantaine de présences au couvent. Les ordinations sont de nouveau célébrées à la chapelle jusqu’en 1948 qui marqua la dernière ordination. C’était le 17 juillet 1948. Parmi les ordonnés, il y avait un jeune séminariste… Michel Canevet.
Nombreux sont les Pères et les séminaristes qui s’impliqueront dans la vie paroissiale. On les voit vicaires ou prédicateurs dans les quartiers de la ville où ils animent les œuvres.
1957 voit un nouveau changement important par la décision des Supérieurs de transférer le scolasticat (grand séminaire) de Tournai à Fribourg en Suisse. Par ce départ, la population du couvent est ramenée à une petite communauté. Les plus jeunes et les actifs ne sont plus. C’est à nouveau la mise en veilleuse de la maison de Tournai.
Les temps changent et de nouvelles réalités font jour. La raison de la présence des Pères est complètement modifiée, venus en exilés, ils peuvent retourner en France. Plus grave encore est la diminution du nombre de vocations. Il est bon de méditer ici l’essentiel du message de la Vierge qui s’applique encore plus de nos jours. “Le peuple de Dieu à oublié son Dieu, il a ainsi perdu sa dignité.” Raison profonde mais aussi réalité !
On parle déjà d’un départ possible des Pères de la Salette. On est en 1957 !
Malgré les effectifs réduits par les mutations, les Pères continuent à se consacrer à de nombreux ministères dans tout le Tournaisis, vicaires dominicaux, prédicateurs ou confesseurs, tous restent volontaires pour travailler à la moisson du MAÎTRE.
1960 amène un bouleversement important de la distribution des paroisses à Tournai. La ville s’étend de plus en plus. Il faut repenser les charges paroissiales, tâche à laquelle Monseigneur Himmer, évêque de Tournai s’attelle.
Tout un quartier s’est créé autour de la chapelle de la Salette. C’est ainsi que Monseigneur Himmer fait part aux Supérieurs de la Salette de son désir d’ériger la chapelle en église paroissiale afin de desservir au nord de la gare une population d’environ mille foyers.
La chapelle des Pères de la Salette devint officiellement église paroissiale par une ordonnance de Mgr Himmer actée en date du 24 juin 1961. On y lit : “La Saint nom de Dieu invoqué : Nous avons ordonné et nous ordonnons : 1) Il est créé à Tournai une nouvelle paroisse dédiée à Notre-Dame de la Salette…”
La charge de la nouvelle paroisse fut confiée officiellement à deux pères, le Père Michel Canevet acceptant la fonction de curé et le Père Albert Girault celle de vicaire. Ils sont de plus aidés par les quelques autres membres demeurant au couvent dont le frère Justin bien connu dans tout le quartier pour le réveil matinal qu’il imposait, au son des cloches, pour la récitation de l’Angélus.
Cette mutation en paroisse entraîne forcément de nouvelles activités sous l’impulsion des Pères et de nouveaux paroissiens.
Le quartier ne cesse de s’étendre non seulement par le nombre d’habitants mais aussi par l’établissement de plusieurs homes pour personnes âgées nécessitant la présence de religieux.
Nombreuses sont les activités paroissiales qui profitent de l’aide des Pères et pour certains, de leurs locaux.
Un pèlerinage était organisé chaque année à la Salette sous l’impulsion, entre autre, du regretté Père Chacun qui savait communiquer sa dévotion intense à la Vierge.
La Mission pastorale des Pères ne se limite pas à la paroisse de la Salette; en effet, si la paroisse du Sacré-Cœur, par son curé l’abbé Friand, est venue en aide aux Pères de la Salette, l’inverse se produisit lorsque son curé l’abbé Dedoncker décéda en 1979. Les Pères se virent alors confier la charge de la paroisse de Rumillies. L’ensemble des trois paroisses, Notre-Dame de la Salette, Le Sacré-Cœur et Rumillies représente alors une population de plus de trois mille foyers.
C’est ainsi que le Père curé assure la charge des trois clochers avec l’aide du Père vicaire, du Père Vinquier et du Père Maurice, rédemptoriste.
Depuis trente ans, les Pères de la Salette étaient au service des paroissiens, actions discrètes mais efficace.
Le 7 août 1990, faute de vocations, la relève n’est pas assuré. Au grand regret de toutes ces paroisses, les Pères quittent Tournai.
Le 1er septembre 1990, notre école s’implante dans le quartier après avoir passé 25 ans à Kain centre.